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Les armes miraculeuses
Le grand coup de machete du plaisir rouge en plein
front il y avait du sang et cet arbre qui s'appelle
flamboyant et qui ne mérite jamais mieux ce nom-là
que les veilles de cyclone et de villes mises à sac le
nouveau sang la raison rouge tous les mots de toutes
les langues qui signifient mourir de soif et seul quand
mourir avait le goût du pain et la terre et la mer un
goût d'ancêtre et cet oiseau qui me crie de ne pas me
rendre et la patience des hurlements à chaque détour
de ma langue
la plus belle arche et qui est un jet de sang
la plus belle arche et qui est un cerne lilas
la plus belle arche et qui s'appelle la nuit
et la beauté anarchiste de tes bras mis en croix
et la beauté eucharistique et qui flambe de ton sexe
au nom duquel je saluais le barrage de mes lèvres violentes [...]
Première parution en 1946
Nouvelle édition revue en 1970
Aimé Césaire naît le 26 juin 1913 à Basse-Pointe en Martinique, d’un père instituteur et d’une mère couturière. Après l’obtention de son baccalauréat, il arrive à Paris en 1931 et entre en classe d’hypokhâgne au Lycée Louis-le-Grand, en plein coeur du Quartier Latin. En 1934, Césaire fonde avec d’autres étudiants antillo-guyanais le journal L’étudiant noir, dans lequel il formule pour la première fois le concept de Négritude, qu’il définit essentiellement comme une « quête dramatique » de l’identité noire, lui l’Antillais, l’homme du déracinement et de l’écartèlement, tendu vers une Afrique qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut que fantasmer. Il intègre l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1935 et commence la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal, qu’il publie une première fois en 1939, juste avant de rentrer en Martinique où il devient professeur de lettres. En 1941, il fonde avec son épouse Suzanne Césaire la revue Tropiques, en réaction à l’aliénation culturelle que subit la Martinique et qu’il éprouve d’autant plus douloureusement qu’il est de retour au pays après dix ans d’absence. L’année 1945 est celle de son entrée en politique : il est élu maire de Fort-de-France, ainsi que député au PCF. En 1947, il collabore à la création de la revue Présence Africaine. Déçu par le parti communiste qui n’accorde aucune importance aux problèmes spécifiques des Antilles et du monde noir, Césaire fonde en 1957 le Parti progressiste martiniquais. Il défendra durant toute sa vie d’homme de lettres et d’homme politique des positions farouchement anticolonialistes. Il meurt à Fort-de-France en 2008.
Césaire est l’auteur d’une oeuvre conséquente et protéiforme. Tout à la fois poète, dramaturge, essayiste, il a su couler sa parole dans différents registres, du Cahier d’un retour au pays natal au Discours sur le colonialisme. Dans une langue véhémente, furieuse, au rythme cardiaque et aux images pyrotechniques, il est peut-être le poète de la Négritude à avoir exprimé avec le plus de justesse et le plus de force la sensibilité noire. Ses livres témoignent d’une grande exigence lexicale, d’un goût du mot juste et d’un amour de la langue française, qu’il manie « comme il n’est pas aujourd’hui un Blanc pour la manier », aux dires d’André Breton. Par-delà la rage et l’indignation à la source de toute son oeuvre, celle-ci proclame un message d’espoir fraternel, confiant en la possibilité d’une entente entre les hommes, qui s’exprime glorieusement dans l’envoi du Cahier d’un retour au pays natal : « Il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu'à fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. »