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En poésie, comme dans la vie, L.-G. Damas témoigne d'une humanité exposée, nerveuse, intense, brûlée par l'existence. Poésie chaude, apparentée au libre souffle du jazz, éveillée par la rencontre brutale ou tendre de l'être avec les événements du monde. Nous n'écoutons pas ici, intéressés, les cadences d'un esprit appliqué, ce sont les rythmes d'un être bouleversé que le poète sur la brèche donne à vivre aux hommes fraternels. Proche des quotidiennes, des très humaines paroles de la révolte et du don, cette poésie ouverte échappe aux calculs et aux complaisances, elle connaît la distance de l'humour, elle se dispense aussi des garanties quasi officielles des écoles. L.-G. Damas par certains côtés évoque les funambules de Laforgue, le Sportin'Life de Porgy and Bess, mais l'ironiste-mauvais garçon est aussi un militant - un des premiers - de la négritude. Il y a une solitude de Damas, qui n'est pas que littéraire, c'est aussi celle de la clameur nègre dans le monde de l'oppression. Il y a une chaleur humaine de Damas, qui n'est pas que, mondaine, elle est celle des hommes noirs imposant leur humanité à la blanche froideur des anciens maîtres.
Enfin, l'événement de l'art s'affirme ici. Ces poèmes que la liberté de vivre anime gardent, depuis l'époque où Robert Desnos saluait leur apparition, la consistance des objets beaux: la vie y trouve sa rigueur, l'aventure, sa pérennité; la parole juste et vraie de L-G. Damas ne cesse pas de nous concerner.
Léon-Gontran Damas naît en Guyane en 1912. Ce jeune « mulâtre » issu d’un milieu social aisé arrive en Martinique en 1924, où il est le condisciple d’Aimé Césaire. En 1928, il part pour la France et devient interne au collège de Meaux. L’année suivante, il entame des études de droit puis de langues à l’École des langues orientales de Paris, où il apprend le baoulé, le russe et le japonais. C’est au Quartier latin qu’il rencontre Senghor et retrouve Césaire, avec qui il fonde le mouvement de la Négritude.
En 1938, il publie Retour de Guyane, suite à une mission d’enquête qu’il a menée dans son pays natal, à la demande du musée d’ethnographie du Trocadéro. Le livre sera censuré en 1939, pour la véhémence de sa dénonciation des élites guyanaises et des processus d’assimilation. Damas reçoit deux grands faisceaux d’influence : d’une part, le surréalisme, et plus particulièrement Robert Desnos, qui a préfacé son recueil de poèmes intitulé Pigments, réédité chez Présence Africaine en 1962; d’autre part, la culture négro-africaine, incarnée notamment par Claude McKay, Langston Hughes et les plus grands instrumentistes de jazz comme Louis Armstrong ou Duke Ellington.
Il s’engage dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, et il est élu député de Guyane de 1948 à 1951. Il assume ensuite des fonctions d’ambassadeur culturel, ce qui l’amène à multiplier les voyages, et sa priorité consiste à défendre la culture noire. En 1956, il publie son ouvrage majeur, Black-Label, chez Gallimard. Il devient consultant auprès de l’UNESCO à partir de 1964 jusqu’en 1970. Parallèlement, son rayonnement en tant que conférencier est considérable aux Etats-Unis, au Canada et dans les Antilles. En 1970, il reçoit le Prix Littéraire des Caraïbes pour l’ensemble de son œuvre.
Léon-Gontran Damas fut peut-être le moins théoricien des intellectuels de la Négritude, mais il « vivait en plus nègre qu’eux », selon le mot de Senghor. Son œuvre incarne la Négritude en action, en sentiment, elle fait chanter l’âme nègre au rythme du jazz et d’images éblouissantes. Césaire dit encore à propos de lui : « il est là, le grand hoquet nègre ».