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Étrange destin que celui de la trajectoire du livre The Invention of Africa (1988), ici traduit par Laurent Vannini en français. Son auteur Valentin Y. Mudimbe, est reconnu comme l’un des plus fins analystes des sciences sociales, des humanités classiques et modernes et de la philologie ; Mudimbe est aussi un romancier hors pair. Il a pourtant fallu une génération pour traduire son livre dans la langue et les traditions intellectuelles francophones qui l’ont nourri. Mudimbe explore ici, trois territoires épistémologiques, la philologie grecque et latine, les bibliothèques religieuses et l’ethnographie coloniale, pour s’en prendre avec une certaine allégresse aux littératures en quête d’une Afrique « vernaculaire », d’une modernité néo-pharaonique inaugurée par une Égypte ancienne triomphante, remise sur ses pieds africains, qui fit la leçon aux Grecs, pour établir une production intellectuelle décrochée du monde occidental. Le livre continue de faire l’objet de commentaires et de critiques. Il est probablement l’un des ouvrages les plus cités de la littérature africaniste. Sa lecture est obligatoire dans plusieurs disciplines enseignées dans les universités américaines.
Né le 8 décembre 1941 à Likasi (anciennement Jadotville) au Congo belge (aujourd’hui République démocratique du Congo), Valentin-Yves Mudimbe se destine très tôt à la prêtrise ; il fréquente des séminaires jusqu’à faire son noviciat dans un monastère bénédictin. En 1962, il abandonne la voie sacerdotale et s’inscrit à l’université en Belgique. Il est notamment l’élève du philosophe Franz Crahay. En 1970, il obtient un doctorat en lettres et en philosophie à l’Université de Louvain. De retour en Afrique, il enseigne à l’Université nationale du Zaïre. En 1979, comme beaucoup d’intellectuels zaïrois, il s’exile, d’abord en Afrique, en Europe ensuite, puis enfin aux Etats-Unis, où il s’installe durablement. Il devient professeur au Harverford College, à l’université Stanford, et à la Duke University.
Il est l’auteur d’une oeuvre conséquente, d’une rare diversité : à côté de ses recueils de poèmes, il a exprimé sa pensée dans une oeuvre romanesque importante. En 1973, paraît son premier roman, Entre les eaux, chez Présence Africaine, suivi du Bel immonde, en 1976, puis L’écart en 1979, chez le même éditeur. Mais sa pensée s’est surtout illustrée dans un livre majeur, The Invention of Africa, paru en 1988, traduit et republié chez Présence Africaine en 2021. Cet ouvrage indispensable pose la question de la signification d’un savoir à proprement parler africain et pointe les limites du regard occidental dans l’appréhension des réalités africaines.