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En 1949, deux ans après avoir créé la revue Présence Africaine, Alioune Diop fonde la maison d’édition du même nom. L’objectif est de fournir aux penseurs, écrivains et chercheurs d’Afrique et de la diaspora, un espace de création et une caisse de résonnance permettant à leurs productions littéraires et scientifiques, de connaître de meilleures conditions de diffusion et d’accessibilité à travers le monde. Les deux entités, revue et maison d’édition, travailleront en symbiose à servir ce projet, soutenues par l’association créée au lendemain du 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs, la Société Africaine de Culture (SAC). Rebaptisée Communauté Africaine de Culture (CAC), elle est aujourd’hui présidée par le lauréat du Prix Nobel de littérature, Wole Soyinka. D’ailleurs, dès 1956, la Société Africaine de Culture organise la première journée du Livre Africain à Paris.
En 2019, les éditions Présence Africaine célèbrent leur soixante-dixième anniversaire : soixante-dix années d’engagements et de transmission, dans le respect et la lignée du projet d’un homme visionnaire : Alioune Diop
« Pour nous autres », comme le dira un jour Mongo Béti, « Alioune Diop restera celui qui a permis aux Noirs de s’exprimer. Sans cet outil qu’il a forgé, nous serions demeurés ce que nous avons toujours été : des muets. »
La Philosophie Bantoue de Placide Tempels, est le premier ouvrage publié par Alioune Diop. Dès sa parution en 1949, le livre fait l’objet de vives controverses et la postérité de cette œuvre restera marquée par des polémiques aussi nombreuses que fondatrices pour l’émergence et la construction d’une philosophie africaine.
Par la suite, la philosophie demeurera un axe éditorial clé pour les éditions Présence Africaine qui publieront entre autres L’Odeur du père de Valentin Yves Mudimbe(1973), La Philosophie bantu comparée d’Alexis Kagame (1976), La Crise du Muntu de Fabien Eboussi-Boulaga (1977).
Aujourd’hui, la collection « La philosophie en toutes lettres » dirigée par Souleymane Bachir Diagne, docteur en philosophie et professeur à Columbia University, met cette discipline à l’honneur.
En 1954, Cheikh Anta Diop publie aux éditions Présence Africaine son premier ouvrage, devenu aujourd’hui incontournable Nations nègres et culture (1954). A sa sortie, ses thèses révolutionnaires sur les origines négro-africaines de l’Egypte ancienne sont perçues par beaucoup comme particulièrement subversives. Demeurées telles pour certains, elles n’en forment pas moins aujourd’hui, les fondements de toute une tradition historiographique africaine moderne. Cheikh Anta Diop étayera ses théories et publiera d’autres travaux, dans d’autres ouvrages publiés aux éditions Présence Africaine avec qui il entretint une relation privilégiée. Toute une génération d’historiens africains, notamment Théophile Obenga, s’engagera dans ce sillage.
Joseph Ki-Zerbo, dans de nombreux articles publiés dans la revue Présence Africaine, Djibril Tamsir Niane, notamment dans sa Recherche sur l’empire du Mali au Moyen-Âge et Ibrahima Baba Kaké, dans Combats pour l’histoire africaine, (1981) sont d’autres figures de proue de cette discipline. Djibril Tamsir Niane est d’ailleurs l’auteur de l’emblématique Soundjata ou l’épopée mandingue qui, prenant corps sur un hiatus entre Histoire, conte et légende, raconte dans la tradition des griots l’histoire du grand Manding au XIIIe siècle.
En 1986, les éditions Présence Africaine coéditent avec EDICEF et l’UNESCO l’édition abrégée de l’Histoire générale de l’Afrique, ouvrage colossal en 8 tomes. Le premier tome dédié à la méthodologie et à la préhistoire est dirigé par Joseph Ki-Zerbo.
L’histoire des diasporas afro descendantes fait aussi l’objet de publications aux éditions Présence Africaine, notamment Capitalisme et esclavage ou encore L’histoire des Caraïbes 1492-1969 du Dr Eric Williams, originaire de Trinidad-et-Tobago et deuxième président de la Société Africaine de Culture.
Au fondement de l’engagement des éditions Présence Africaine et des rencontres entre les intellectuels qui vont en constituer le socle, il y a cette aspiration commune d’inscrire l’Afrique et sa culture dans le concert des nations. Cette aspiration se nourrit d’un contexte conflictuel avec les puissances coloniales.
Cet anticolonialisme irrigue bon nombre des premières publications de la maison d’édition à travers des formes littéraires diverses et variées : romans, essais, poésie, théâtre, histoire…
En 1954, Mongo Béti publie son premier roman : Ville Cruelle. Cet ouvrage rencontre un grand succès. Au cœur des années 50, alors que de toutes parts, gronde la clameur anticoloniale, Mongo Béti prenant ici le nom d’Eza Boto recourt à la fiction pour construire un impitoyable réquisitoire contre la colonisation.
La décolonisation des imaginaires voire la reconstruction d’imaginaires perdus ou dépréciés au profit de la culture dominante sont aussi des aspects importants de l’engagement de la maison d’édition. Au XXe siècle, de nombreux auteurs africains et afro-descendants se saisissent de la fiction pour raconter leurs histoires voire pour réécrire leur Histoire. Ils écrivent ainsi une nouvelle présence littéraire noire, perçue non plus par et à travers le seul prisme « exotisant » de l’Autre. La fiction est aussi un moyen d’aborder, au moyen de récits et de personnages d’invention, des sujets d’actualité aussi prégnants que sensibles.
En 1953, Présence Africaine publie le premier roman écrit par un auteur de la République du Congo. Il s’agit de Cœur d’Aryenne du romancier Jean Malonga. Dans cette œuvre fictionnelle et romancée autour d’une idylle entre un Africain et une Européenne, l’auteur aborde des thèmes tels que l’identité culturelle, le métissage racial, l’unité nationale, la réhabilitation de l’opprimé, la coexistence pacifique des communautés.
En 1976, Mongo Béti choisit de rééditer son second succès Le Pauvre Christ de Bomba, chez Présence Africaine après une première édition chez Robert Laffont.
Plusieurs grands noms du roman et de la littérature francophone font leurs premiers pas aux éditions ou dans la revue Présence Africaine.
Les contes sont un autre axe de ce projet de reconstruction et de déploiement de l’imaginaire africain. Qu’ils résultent d’une réhabilitation d’anciens contes traditionnels ou qu’il s’agisse de créations originales, ils permettent toujours de rêver l’Afrique, de rêver plusieurs Afriques dans le cadre libérateur du fantastique voire du merveilleux, hors du temps et du réel. Loin de se limiter à la jeunesse, les contes occupent en vérité une place de choix aussi bien dans la ligne éditoriale de Présence Africaine que dans la littérature africaine tout entière.
Les Editions Présence Africaine ont à cœur de rester fidèles à la vision d’Alioune Diop. Encore aujourd’hui, la maison se positionne comme un organe de production d’une littérature noire effervescente toujours aux prises avec les grandes questions des époques qu’elle traverse : afro-optimisme, immigration, francité, racisme, afro-féminisme, afro-scepticisme, intersectionnalité etc... sont autant de sujets que les auteurs de la nouvelle génération de Présence Africaine abordent dans leurs ouvrages.
Toujours ouverte à de nouveaux talents, la maison se pense non seulement comme une maison pionnière mais aussi comme une pépinière.
Chrétien, Alioune Diop s’est passionné pour les questions relatives à la spiritualité africaine et aux rapports et dialogues qu’entretiennent les Africains avec les religions monothéistes. Il s’est beaucoup investi dans la mise en relation des différentes parties prenantes du fait religieux en Afrique. C’est dans cette dynamique qu’il avait publié et préfacé les travaux de Tempels en 1949. Plus tard, les éditions Présence Africaine ont publié de nombreux travaux tant critiques, que philosophiques ou scientifiques sur le sujet de la religion, notamment sur le christianisme en Afrique.
Homme de dialogue et d’ouverture, Alioune Diop a permis à plusieurs voix de s’élever et à des personnalités de postures et de sensibilités différentes de se saisir de la question. A l’annonce de la convocation par le pape Jean XXIII du Concile Vatican II, Alioune Diop écrira aux élites africaines : « Notre mission nous fait un devoir, catholiques ou non, de penser la culture à travers la vie religieuse ».
La poésie et le théâtre, bien que considérés comme des genres littéraires plus classiques et traditionnels, n’ont pas été moins investis par les auteurs des éditions Présence Africaine. Cathartiques et critiques, les classiques de la poésie et du théâtre africain et afro-descendant parus chez Présence Africaine tout au long de ces soixante-dix ans, ont pris la forme d’un renouveau artistique et esthétique des littératures africaines et afro descendantes.
Aimé Césaire, Edouard Glissant, David Diop, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Edouard Maunick, Jean-Baptiste Tati-Loutard sont autant de pionniers et précurseurs de cette nouvelle poétique africaine et afro-descendante dont les classiques figurent parmi les œuvres de la maison. Jouant avec les rythmes, les voix et les mots, ces textes sont devenus aujourd’hui canoniques tant sur le plan de la forme et de l’expression qu’au niveau des idées.
Cette quête et ce souci esthétiques, n’affaiblissant jamais la portée des discours, ont bien souvent servi au contraire de support voire d’amplificateur à des pensées proprement révolutionnaires.
Les arts ont toujours intéressé Présence Africaine et, Alioune Diop, comme en témoigne la dénomination du très célèbre « 1er Congrès international des écrivains et artistes Noirs » qu’il organisa à la Sorbonne, en 1956. Et pour cause, son engagement allait au-delà de la littérature : c’était un engagement pour la culture.
D’ailleurs, autant dans la revue que dans la maison d’éditions, les publications et travaux portés par Présence Africaine ont témoigné de ces dialogues et rapports étroits qu’entretenaient et continuent d’entretenir art et littérature.
Un cahier spécial de la revue Présence Africaine que publie la maison d’éditions intitulé L’Art Nègre est consacré à l’Art négro-africain : il constitue une contribution importante à la connaissance de l’esthétisme africain et de la vision que l’on pouvait en avoir à cette époque. En 1953, suite à une commande de Présence Africaine, Alain Resnais et Chris Marker réalisent Les Statues meurent aussi. Le film, produit par la Revue Présence Africaine, considéré comme résolument anticolonialiste, est interdit de diffusion et estampillé de censure, pendant plus de 10 ans ! La censure est levée et l’autorisation accordée en 1964 quatre ans après la plupart des indépendances des pays d’Afrique d’expression française…
Aujourd’hui, comme à leurs débuts, les éditions Présence Africaine ont à cœur d’investir plusieurs champs de la culture et pas seulement le seul espace littéraire. C’est dans cette dynamique qu’un projet littéraire, musical et pictural comme Le Jeune Noir à l’épée d’Abd Al Malik, a pu naître de la collaboration entre Présence Africaine, le Musée d’Orsay et Flammarion, en 2019. La Maison présente le projet comme une « rencontre entre le hip-hop, la littérature et l’art ». La démarche est ambitieuse : en s’associant, pour la première fois, à l’occasion de l’exposition « Le Modèle noir de Géricault à Matisse » dans laquelle s’inscrit ce récit poétique, Abd Al Malik et Présence Africaine proposent une fois de plus dans une démarche de décloisonnement des arts noirs, africains et afro-descendants, de mettre en dialogue la littérature et d’autres formes de création et d’expression artistique.
Comme son fondateur, la Maison Présence Africaine se pense comme une passerelle, un pont, un point de contact et de transmission, pour la pensée africaine et afro descendante, entre ses artistes et ses intellectuels, de cultures, de générations, d’espaces géographiques et linguistiques divers et variés. C’est pourquoi les traductions représentent un axe important du projet éditorial de la maison d’édition ; traductions du français en langues étrangères et de langues étrangères en français. La traduction permet le déploiement hors des frontières et en dépit des contraintes linguistiques des pensées et d’imaginaires qui appartiennent et enrichissent l’héritage universel. De ouvrages ont été traduits en français à partir du néerlandais, du swahili, de l’anglais ou du portugais pour être publié chez Présence Africaine. Inversement, de nombreux titres du catalogue de Présence Africaine ont été traduits en espagnol, allemand, anglais, chinois, coréen, catalan, suédois, norvégien, italien, bulgare, tchèque, slovène, grec, gaëlique, etc. et ont ainsi eu un retentissement bien au-delà des frontières de la francophonie. La maison s’apprête à publier des ouvrages traduits directement du Swahili.
Les Éditions Présence Africaine se distinguent depuis toujours par la qualité littéraire des œuvres publiées mais aussi pour avoir déniché et lancé la carrière de nombreux talents au rayonnement aujourd’hui incontesté. Cette dimension de la maison d’éditions se reflète notamment dans les nombreuses récompenses et distinctions reçues par ses auteurs.
Wole Soyinka, par exemple, dont les ouvrages The Interpreters, The Trials of Brother Jero, Opera Wonyosi, sont été publiés en français chez Présence Africaine, a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1986. Ngugi wa Thiong’o, dont deux ouvrages ont été traduits aux Editions Présence Africaine, trouve quant à lui, régulièrement sa place sur la liste des auteurs nominés pour le Prix Nobel.
Douze livres des éditions Présence Africaine ont reçu la distinction du Grand prix littéraire d’Afrique Noire décerné par l’Association des écrivains de Langue Française.
Certains auteurs découverts par Présence Africaine ont poursuivi leur carrière avec d’autres éditeurs où ils se sont illustrés en remportant des prix prestigieux comme Alain Mabanckou qui remporte le prix Renaudot pour Mémoires d’un porc-épic en 2006, soit sept ans après avoir publié son premier roman Bleu, blanc, rouge aux éditions Présence Africaine.
Dans la nouvelle génération Mohamed Mbougar Sarr, a reçu pour son roman, Terre Ceinte, (2015), le Prix Ahmadou Kourouma 2015 , le Grand Prix du Roman métis 2015, le French Voices Awards 2017. Il a reçu pour son roman sur l’émigration Silence du Chœur (2018) le Prix littéraire de la Porte Dorée 2018, le Prix Littérature-Monde 2018, le Prix du Roman Métis de la ville de Saint-Denis 2018, le Prix Solidarité 2018. Véronique Kanor, pour Combien de solitudes a reçu le Prix Ethiophile, 2018.
Alioune DIOP est né le 10 janvier 1910 à Saint-Louis (Sénégal). Après des études primaires (à Dagana) et secondaires (à Saint-Louis), il entama en Algérie (1936-1937) des études de Lettres classiques qu’il termina à la Sorbonne à Paris.
A partir de 1943, il fut Professeur de Lettres à Paris et dans plusieurs villes françaises et entra brièvement dans la vie politique au Sénégal et en France entre 1946 et 1948.
En 1947, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, époque de libération de la domination nazie et d’opposition au pouvoir colonial non démocratique, il crée la revue Présence Africaine qui devient vite le forum d’un mouvement intellectuel de revendication culturelle : la Négritude. Le prestigieux comité de patronage qui porta la revue sur les fonds baptismaux atteste bien de l’importante signification de son rôle et de la sympathie de l’adhésion de l’intelligentsia française de l’époque : Paul Rivet, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, André Gide, Théodore Monod, Michel Leiris, Richard Wright, Aimé Césaire et bien d’autres. Alioune Diop a pour ambition « d’accueillir tout ce qui a trait à la cause des Noirs et toute voix qui mérite d’être entendue. » et d’ouvrir la revue « à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté…susceptibles d’aider à définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».
Alioune Diop meurt à Paris le 2 mai 1980. Selon le Père Joseph-Roger De Benoist, « Alioune Diop a plus cherché à faire penser et parler les autres qu’à leur imposer son discours avec son personnage… il a su communiquer sa foi à un grand nombre d’hommes de valeur qui ont ainsi démultiplié sa propre action. »
En 1982, l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) crée le Prix Alioune DIOP de l’Edition Francophone reconnaissant l’héritage culturel d’Alioune DIOP.
C’est en 1980, après la mort d’Alioune, que Christiane Yandé Diop, la petite fille du littoral camerounais, de Douala plus précisément, reprend la direction de la maison Présence africaine située dans la célèbre rue des écoles à Paris.
Depuis elle continue de porter la voix sur les questions noires à travers le monde. De colloques en ateliers, Christiane Diop continue de favoriser l’émancipation des noirs.
Christiane Diop a reçu la décoration de Chevalier de la Légion d'Honneur, au Palais de l'Elysée, mercredi 8 avril 2009.